Vers un centre de transmission et d’expérimentation professionnalisant sur le bien vivre ensemble en ruralité
Entretien avec Olivier Massicot, co-président de l’association des Amanins
Je vais traduire et partager ici ce qui nous a amenés à positionner le projet sur la vision suivante : faire des Amanins un centre de transmission et de formation professionnalisant sur le bien vivre ensemble en ruralité.
Cette vision est le fruit d’un long cheminement de 20 ans, et est apparue comme une évidence faisant sens dans l’histoire et la trajectoire des Amanins.
De l’agroécologie à la régénération
Les Amanins se sont structurés autour de deux questions, qui font partie de son ADN : “Quels enfants laisserons-nous à la planète ? Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ?”.
Jusqu’alors, la réponse à ces questions passait principalement par une dimension pratique de l’agroécologie : il s’agissait surtout de transmettre aux personnes venant aux Amanins des pratiques agroécologiques à reproduire chez eux.
Mais ce terme d’“agroécologie” a beaucoup évolué depuis 20 ans.
Alors qu’à l’époque, c’était un terme pionnier, aujourd’hui, on n’en entend quasiment plus parler. Il est désormais plutôt utilisé sur les pratiques agricoles, sous la forme d’“agro-écologie”, et non “agroécologie”.
Il a évolué en termes de mot, mais aussi de pratiques : il s’est affiné, autour des notions de permaculture, d’agroforesterie, d’agriculture syntropique, mais aussi de transition écologique et sociale, et de régénération.
Nous avons donc voulu comprendre comment les Amanins se placent dans cette évolution, cette trajectoire, et comment réintégrer les Amanins dans le sens de cette histoire. Cela a été un premier enjeu lorsqu’on s’est questionnés sur le sens et la pratique des expérimentations des Amanins.
Il y a 20 ans : une intuition
Il y a 20 ans, les transformations de société n’étaient pas aussi palpables qu’aujourd’hui : les questions de changement climatique, les tensions sociales sur les territoires étaient pressenties par certains acteurs, mais ce n’était pas aussi visible qu’aujourd’hui.
Il y a 20 ans, nous avions ces intuitions aux Amanins, et c’est pourquoi nous avions engagé beaucoup de structurations pour répondre à ces enjeux, à travers les haies, les modes de production, la coopération. Tout cela transitait beaucoup par des mouvements tels que le Mouvement Colibri, Terre & Humanisme, les réseaux autour de Pierre Rabhi.
Cela touchait donc une part de la société – encore assez petite – qui commençait à avoir cette intuition, et qui a donc progressivement ouvert un espace avec d’autres sur les questions de transition.
En 2025, force est de constater que ces enjeux de changement climatique touchent les gens d’une manière très concrète, puisque l’on peut vraiment voir les effets de ce réchauffement climatique. Son impact sur les territoires est très fort : nos rivières s’assèchent, nos paysages, nos forêts, brunissent et meurent.
Cependant, en parallèle, lorsqu’on écoute tout ce qu’il se passe dans les médias, les questions de coopération, de sens commun, de collectif, sont des choses qui se perdent, qui sont fragiles.
Notre processus de réflexion aux Amanins, face à ces constats, a été le suivant : comment les Amanins peuvent-ils répondre aux enjeux d’aujourd’hui ? Comment, 20 ans après, peuvent-ils prendre de la puissance grâce à leur capitalisation, leur expérience de 20 années ?
En 2025 : un constat
Aujourd’hui, en 2025, ces sujets sont plus prégnants : les écosystèmes sont très impactés par le réchauffement climatique, et la mauvaise santé de ces écosystèmes influe sur les tensions économiques et sociales. On constate aussi une polarisation sur les territoires – en particulier sur les territoires ruraux (mais pas uniquement) – autour de la dimension politique, du sens commun, du faire et d’être ensemble.
Cela nous a interpellés car, aux Amanins, nous travaillons la question de l’éducation à la paix et de la coopération. Nous nous sommes donc interrogés sur la façon dont nos compétences peuvent aujourd’hui nourrir le territoire qui nous accueille.
Capitaliser les savoirs pour l’intérêt général
Les Amanins se trouvent sur le bassin versant de la rivière Drôme, qui est un territoire agricole très rural, et qui plus est, situé sur le bassin versant de la Grenette, une toute petite rivière qui a de grandes difficultés en termes de sécheresse et qui subit de plein fouet le changement climatique.
Le dérèglement climatique impacte directement l’agriculture, et cette agriculture est le premier lien de notre société humaine avec la nature (les interfaces agricoles faisant le lien avec l’urbain et les espaces naturels, les écosystèmes).
Les Amanins sont structurés autour d’une ferme qui peut être vue comme une micro société, une petite éprouvette, parce qu’on y travaille, on y apprend, on y produit, on y transforme et on y échange.
Alors, comment ce lieu voué à des expérimentations pourrait-il renouveler ces expérimentations à travers sa capitalisation et son savoir de 20 années, pour répondre aux enjeux de la société actuelle ?
Pour nous, ces enjeux se situent dans la façon de prendre soin du territoire rural qui nous accueille, et du lien sur ce territoire (lien à la nature, lien avec les autres). Autrement dit, comment on travaille une forme d’humanisme qui est relié à notre environnement et notre territoire.
Et c’est cela qui nous a amenés sur la question du bien vivre ensemble en ruralité : c’est d’essayer de mailler tout cela, et de voir la part des Amanins dans ce maillage.
La Scop, véritable organe de formation
Cette réflexion plus globale sur la question des territoires ruraux, des enjeux de transformation, de changement climatique, de bien vivre ensemble entre humains et avec les autres espèces, est venue croiser un autre constat au sein des Amanins, réalisé en interne.
Les Amanins est un lieu de transmission qui s’est beaucoup adressé au grand public et aux publics professionnels autour des enjeux de sensibilisation, à travers des séjours, des classes découvertes, et tout type d’accueil et de formations pour accompagner des parcours de transition de vie.
Cette forme de transmission / sensibilisation / accompagnement à une transformation, a très bien marché aux Amanins.
Mais ce dont on s’est rendu compte, et qui n’était pas conscientisé jusqu’alors, c’est que nous n’avions jamais perçu la Scop des Amanins comme un organe de transmission interne.
Pour nous, la Scop, c’était surtout la structure de production (production et transformation agricole, transformation en cuisine, accueil des gens dans les hébergements, sensibilisation, etc.).
Il y a aussi eu beaucoup de turnover dans cette Scop : de nombreuses personnes restaient deux ou trois années, durant lesquelles elles ont structuré un savoir agroécologique professionnel qu’elles sont allées faire vivre ailleurs après avoir quitté la Scop, en montant leur propre activité professionnelle sur la base de ce savoir capté aux Amanins.
Quelques exemples :
- Houari a appris à devenir boulanger aux Amanins, et est aujourd’hui un artisan boulanger de la vallée de la Drôme.
- Emma gérait la petite boutique (et aussi l’accueil), et a, par la suite, monté une épicerie biologique vers Clermont-Ferrand.
- Nathalie était à l’accueil, et a ensuite créé un gîte écologique.
- Théophane était à l’élevage, et est désormais éleveur dans une ferme en collectif en GAEC non loin des Amanins.
Les Amanins, c’est donc un projet de transmission et de formation global, avec différentes échelles de profondeur : de la sensibilisation, et de la formation professionnalisante.
Et cela, nous l’avons réalisé de manière autonome, sans aucune aide du public ni du privé.
Si cela a pu marcher ainsi pendant un certain temps, ce fonctionnement a aujourd’hui atteint ses limites.
Les Amanins rendent service à la société en formant des acteurs, des gens, des citoyens qui, à leur tour, restituent cela à la société en créant des projets qui font sens sur le territoire.
Mais pour pouvoir poursuivre cela, aujourd’hui, nous devons faire appel sur du long terme à des partenaires privés, publics, voire de la société civile.
Les Amanins est, de fait, un centre professionnalisant de l’agroécologie au service du bien vivre ensemble sur les territoires. Mais pour ce faire, le projet doit se restructurer dans des formes de partenariats pour prendre une nouvelle dimension dans son énergie de transmission.
En pratique : un travail sur 3 axes
Pour ancrer cette dimension de centre de formation professionnalisant sur le bien vivre ensemble en ruralité, nous nous appuyons sur 3 axes fondamentaux dans notre histoire de ces 20 dernières :
- les paysages régénératifs, c’est-à-dire les dimensions agroécologiques au sens large. Nous travaillons avec des partenaires locaux qui nous sont chers, tels que Permalab, les Alvéoles, Dryades, Dromolib, sur les métiers liés aux infrastructures et à l’agriculture, en lien avec le réchauffement climatique, et ses capacités à pérenniser les modèles.
- l’accueil : le savoir-faire sur l’accueil (sa qualité, la convivialité), nous sont régulièrement rapportés par les séjournants des Amanins, ainsi que notre capacité unique à sensibiliser autour de savoirs liés à la transition écologique et sociale.
- l’éducation à la paix et à la coopération, structurée autour de l’école du Colibri et des savoirs expérimentés par Isabelle Peloux (co-fondatrice des Amanins) : l’enjeu de cet axe est d’apprendre à vivre ensemble, à s’écouter, à prendre soin de soi, des autres et de la nature.
Ces 3 axes constituent la structure du travail qui va être réalisé aux Amanins sur les 3 années qui viennent.
En conclusion
Lorsqu’on regarde le monde tel qu’il est et tel que les médias nous le partagent, on pourrait penser que le mouvement que nous sommes en train d’enclencher est totalement antinomique à ce qu’il se passe actuellement dans la société.
Et pourtant, c’est bien cela qui motive l’équipe des Amanins, qu’il s’agisse de la Scop, de l’association, des salariés, des administrateurs, des partenaires : c’est de contribuer à un projet qui nous dépasse, qui fait sens pour la société, dans une dimension du prendre soin et de la paix entre nous, humains, et sur nos territoires.
0 commentaires